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L'expression du sujet humain dans la pédagogie Freinet à travers l'Art Enfantin
L'expression du sujet humain dans la pédagogie Freinet à travers l'Art Enfantin
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29 octobre 2007

- Partie 2 - Art Enfantin

Chapitre 1 - L'Art Enfantin dans l'histoire de l'Art.

      1.1. Quelques repères historiques dans l’évolution de l’art:

             Avant d’aborder le concept d’art enfantin  tel que l’a envisagé Freinet dans le courant du 20èmesiècle, nous devons préciser le contexte dans lequel il est apparu. Nous allons donc, dans un premier temps, donner un rapide aperçu de l’évolution de l’art et de ses enjeux. Ensuite, nous nous intéresserons à son enseignement classique. Puis nous verrons l’apport original de Freinet dans ce domaine.

L’art, en occident, a subi de véritables révolutions avant d’atteindre son autonomie actuelle, l’émancipation dans sa forme et la démocratisation de son accessibilité. Jusqu’à la Renaissance, l’art relève exclusivement du domaine du sacré, du religieux. L’affirmation par Descartes de l’Etre Humain  comme sujet autonome, « susceptible de penser le monde et de se penser lui-même en tant que sujet pensant » fut un moment décisif dans la genèse de l’esthétique moderne. (JIMENEZ M., 2000, p52) Le débat esthétique durant la période classique portera sur la spécificité des arts, la définition du beau, naturel ou artistique, le rôle des sentiments et de l’imagination et, enfin, l’importance du goût individuel dans l’appréciation des œuvres Au 18ème siècle, s’affirme la subjectivité de l’expérience esthétique. L’art prend le pas sur les principes, les règles dogmatiques ou les conventions d’origine métaphysique, religieuse ou morale. Mais l’esthétique reste liée à la philosophie. Elle  devient même l’un des domaines privilégiés de la connaissance philosophique, voire une partie intégrante d’un système spéculatif.  Kant définit le jugement de goût comme jugement esthétique, synthétique, a priori. Schiller cherche à déterminer la nature de l’effet que l’art suscite en l’homme, son rapport  au beau, à l’harmonieux. Pour Schiller, la création artistique autonome est un facteur de transformation de la société. Contrairement aux romantiques, Hegel ne croit pas en l’idée d’une révélation de l’Etre grâce à la beauté et à l’art. Il estime que les artistes doivent faire table rase du passé dans l’espoir que l’art puisse, à nouveau, être en phase avec le cours du monde. Sa réflexion sur l’art (historicité du beau, critique de l’imitation de la nature) a eu un très fort retentissement sur l’esthétique contemporaine, constituant, selon Marc Jimenez « des points de non-retour pour toute réflexion esthétique ultérieure » (Ibid, p 201). La prise de conscience du caractère complémentaire de la raison et de la sensibilité permet à l’art de gagner en autonomie : il n’est plus soumis à des règles transcendantes. L’œuvre d’art obéit à ses propres critères et l’art ne se soumet qu’à ses propres fins. Cette époque (fin du 19ème, début du 20èmesiècle) est marquée par le déclin du principe d’imitation, l’historicité du beau, l’affirmation de la subjectivité, la reconnaissance du génie et du sublime, un renouveau du statut de l’œuvre d’art, un rôle prédominant accordé à la critique, la mise en cause du dogmatisme et de l’académisme et la « déliaison » vis-à-vis des anciennes tutelles métaphysiques et théologiques.

Les fouilles archéologiques modifient l’approche de la Grèce. Elles « installent l’art dans sa propre histoire. On peut contempler la civilisation occidentale depuis ses origines et comprendre la culture comme processus, évolution, vie et donc mort. Paradoxalement, l’art Grec, dans la seconde moitié du 19ème siècle continue d’apparaître comme un modèle au moment même où les modèles s’effondrent. » ( Ibid. p 167) Marx, Nietzsche et Freud conservent une certaine nostalgie pour l’antiquité. Tous trois ont tenté « de comprendre le rôle et la signification des forces souterraines, inconscientes qui régissent à la fois l’activité des hommes et le devenir de l’humanité .(…) Pour Marx, ce mécanisme est économique. Pour Nietzsche, il est religieux, moral et culturel. Pour Freud, il est psychologique et repose sur l’inconscient. Dans tous les cas, il s’agit de faire apparaître à la conscience des puissances obscures, artificiellement dissimulées ou refoulées. Si toutes les activités humaines répondent à des motivations et à des finalités évidentes : recherche du bonheur ou du confort matériel, la création artistique demeure énigmatique. » (Ibid. p 283).  Pour Marx, l’art est apparu comme l’expression nostalgique d’une époque révolue ; le génie n’est pas un don de la nature, ni l’effet d’une fureur divine, mais un produit de la division sociale du travail. Pour Freud, l’art est consolation devant la misère du monde ; le choc esthétique a pour origine la parenté des émotions du créateur avec celles  de son public. Il souligne le plaisir et la jouissance éprouvés à la compréhension des œuvres d’art. Il explique ces sentiments par la relation intime, privilégiée entre l’œuvre et celui qui la reçoit. L’art est une illusion, une consolation aux maux infligés par la réalité, qui effleure la vérité de notre être dans ce qu’il a de plus caché. Pour Nietzsche, l’art est réconciliation et apparence placée sous le signe d’Apollon.

Avec Olympia, Manet suscite une véritable émeute. Le public se sent offensé par l’audace d’une technique libérée des conventions habituelles. Il signe, avec cette œuvre, la fin de la tradition Grecque et du romantisme italien ou oriental.

Au début du 20ème siècle, pour Croce, l’esthétique n’est pas une science qui a pas pour fonction de définir l’art et sa trame conceptuelle une fois pour toute, mais elle est   la réorganisation permanente, toujours renouvelée et toujours plus rigoureuse, de problèmes auxquels, selon les diverses époques, donne lieu la réflexion sur l’art. Marc Jimenez estime que si la  philosophie de l’art a souvent une attitude attentiste vis-à-vis des avant-gardes, c’est parce que la plupart des artistes d’avant-garde élaborent leur propre théorie de l’art dans le temps même de leurs réalisations,  à travers Manifeste, Mot d’ordre auquel se rallie une nouvelle école.

Le surréaliste, qui veut changer la vie, changer la politique, révolutionne l’art et son approche. Par la suite,  intellectuels et théoriciens européens pensent que la promotion de la nouveauté et des expériences formelles avant-gardistes permettent de lutter pour la liberté de l’art et pour l’autonomie de la sphère esthétique. Cela permet de réagir à l’opprobre dont la modernité artistique est victime de la part aussi bien des extrémismes politiques que du conformisme bourgeois. Dans les années 70, on assiste à une véritable volonté de démocratiser l’accès à l’art. Les affrontements entre « réalistes » et « formalistes » ainsi que les controverses interminables entre l’art bourgeois « conservateur » et le radicalisme avant-gardiste sont relégués parmi les vieilleries. La réflexion esthétique évolue.  Pour Adorno, la forme est aussi un contenu. Grâce à sa forme inhabituelle, l’œuvre met en cause le réel, elle agit sur le public.   Pour Goodman, l’art est affaire de connaissance et non pas de représentation. L’expérience esthétique repose sur la capacité à voir en quoi l’œuvre d’art est un système symbolique et à comprendre comment fonctionne ce système de symboles. L’important n’est pas qu’une œuvre soit  belle, agréable ou réussie, mais  qu’elle fonctionne esthétiquement.  Pour Arturo Danto, l’art n’est rien d’autre que ce que l’on décide qu’il soit, un pur produit, non plus artistique, mais artificiel, engendré par le jeu du langage et de la communication à l’intérieur de l’institution artistique.

1.2. Place de l’art dans la société et son enseignement au cours du 20ème  siècle :

A la fin du 19ème siècle, le système d’instruction publique prend forme. La bourgeoisie industrielle, alors, au pouvoir, lui assigne pour mission de diffuser massivement une langue, une culture et des valeurs uniformes et normalisatrices sur l’ensemble de l’hexagone. C’est un système sélectif et élitiste. (FOUCAMBERT J. 1978) L’éducation esthétique y est accessoire. Dans cette France encore majoritairement rurale, l’accès à l’art est le monopole de créateurs, d’intellectuels et d’une minorité d’amateurs privilégiés détenteurs de la culture et des moyens d’y accéder. Les instituteurs, hussards noirs de la République, issus souvent de milieux modestes, avaient pour seule culture celle acquise à l’école normale où les notions d’esthétique étaient des plus modestes et des plus conventionnelles. L’enseignement de l’art demeura longtemps académique et confiné à l’école des Beaux Arts. Enracinée dans le cartésianisme et le positivisme des Lumières, l’école de Jules Ferry se faisait un devoir de privilégier le rationalisme scientifique dont elle était le fer de lance. En 1903, Durkheim porte un jugement moraliste sur l’art, lui reprochant d’être une pure abstraction détournant l’humain de la réalité du monde, d’être confiné à de purs jeux de l’imagination, à des aspirations intérieures et des rêveries distinguées, donc inefficaces à intervenir sur le réel. L’éducation artistique paralyserait l’action en plongeant l’individu dans la contemplation. (DURKHEIM E., 1963) L’art est dénigré en raison de sa dimension affective à une époque où l’émotion est associée à de la sensiblerie. Il est considéré comme un luxe superflu, c'est le domaine de l'inutile. On peut très bien vivre sans lui. L’école républicaine est l'école de l'utile, celle des apprentissages dont on a besoin pour entrer dans la vie active, la vie où on ne rêve pas. Cette vie était rude, et le temps de rêver bien court. (PUJAS P., UNGARO J, 1999) Pénétraient dans les écoles les œuvres convenues, un art décoratif, non dérangeant. Longtemps, sa pratique s’est limitée à la reproduction de modèles et en la réalisation de frises de la dimension des carreaux seyes entre deux exercices du cahier du jour. Les écoles disposaient de trop faibles moyens pour pouvoir investir dans l’achat de matériel d’art. Se posaient des problèmes de sureffectif, de manque d’espace, de dérangement dans les habitudes d’enseignement.

1.3. L’éducation artistique :

            Sous l’influence du rationalisme, les domaines d’enseignement sont compartimentés. L’art y est séparé en matières isolées : l’art plastique,  la musique, la poésie et les pratiques corporelles comme la danse. Longtemps, la poésie s’est résumée à la récitation de poèmes académiques et normés. Les cours d’art plastique se fixaient pour objectif de faire connaître et admirer des œuvres du répertoire en transmettant des rudiments de connaissances empruntés aux Beaux-Arts. L’enseignement de la musique consistait en l’apprentissage de chants scolaires, de l’hymne national et a été augmenté de l’audition d’œuvres du répertoire classique lorsque les moyens techniques se sont développés. Les domaines de l’art étaient, comme les autres matières d’enseignement, normatifs. Ils se référaient à la culture bourgeoise, ignorant l’expression des enfants et préférant le folklore à la culture populaire. « La sensibilité, le senti et le vécu, l’imagination, le corps vécu, l’émotion, l’apparence sont des valeurs et des perspectives que la tradition rationaliste en éducation tenait pour secondaires, voire opposées au projet d’éduquer » (KERLAN A., 2006). 

            Les Instructions officielles de 1938 consacrent quelques lignes à l’enseignement  du « dessin », du « travail manuel » et du « chant ».

En dessin, les consignes incitent à dessiner et réaliser des croquis de mémoire, à reproduire, d'après modèles, des  objets usuels, des animaux ou des végétaux ainsi que des modèles vivants vêtus. Elles invitent à diversifier cette activité par le dessin géométrique et le croquis coté. L’usage de la couleur est sous-entendu. Les Dessins libres sont mentionnés en une ligne pour l’illustration de devoirs et des croquis explicatifs.

Les consignes pour les travaux manuels sont nettement plus précises et sont séparées en fonction du sexe des élèves, les écoles n’étant pas mixtes sauf dans les classes uniques rurales. Ainsi, les garçons doivent reprendre les exercices inscrits au programme du Cours Moyen, la confection de menus objets à l'aide de matériaux et d'outils d'usage courant. Appareils pour démonstrations. Réparations d'appareils simples.  Pour les filles, sont indiqués des travaux de couture usuelle, couture rabattue, fronces, bordage, plis et ses applications variées. Le raccommodage avec la reprise sur grosse étoffe, la pièce à un coin, en surjet et en couture rabattue, le tricot et le crochet. 

En chant, aux révisions des notions théoriques acquises antérieurement s’ajoute l’étude des signes, des altérations et des intervalles simples, du rythme, des mesures simples, des exercices de solfège, puis des dictées simples au guide-chant. Le chant choral à une voix et à deux voix est indiqué.

En éducation physique, sont prévus des mouvements éducatifs combinés, des mouvements d'imitation, des mouvements dissymétriques, des exercices et des jeux collectifs, des exercices respiratoires, de la natation et enfin une éducation des sens au cours des promenades scolaires.

           Ces programmes reposent sur une pédagogie du modèle, l’éducation artistique y tient une place réduite. Le dessin libre, mentionné de façon expéditive, est le seul lieu d’expression de la sensibilité pour l’ensemble des matières artistiques, manuelles et physiques. Est-il seulement pratiqué ? N’étant soutenu par aucune justification éducative, il est considéré comme activité occupationnelle marginale.

Chapitre 2 - Conditions d'émergence du concept d'Art Enfantin.

2.1.  Le concept d’art enfantin :

L’expression, en pédagogie Freinet, relève d’une « hygiène de vie »,  il allait de soi que l’art en soit l’un des domaines de prédilection : le tome II de la Méthode Naturelle (FREINET C.) lui est consacré et, dès 1959, le mouvement publie une revue d’art. D’emblée, en art comme dans les autres domaines d’apprentissage, une alternative à la pédagogie du modèle est proposée. La connaissance du répertoire n’est pas considérée comme prioritaire. L’esthétique y est  abordée d’une  manière originale, intégrée à une approche pédagogique d’ensemble fondée sur un système éducatif cohérent, en adéquation avec une philosophie de la vie, de l'humain et en accord avec un projet politique humaniste. En art comme en sciences, la pratique prime car l’expression et la création participent de la démarche d’apprentissage. Plus les enfants sont  jeunes, plus leurs découvertes s’effectuent dans la globalité. Ce n’est qu’avec le temps que s’opère une distinction disciplinaire dégagée des expériences émotionnelles du sujet. Les éducateurs travaillent en ouverture et restent attentifs, à l’écoute de  la respiration du groupe afin de recueillir les occasions d’apprentissage en fonction des intentions de chacun. Il n’est pas rare que des voies s’ouvrent dans le domaine de l’art plastique durant une séance de méthode naturelle de mathématiques. Le carcan des consignes nuit souvent à la richesse des apprentissages naturellement concomitants : un enfant apprend, en même temps, à gérer ses émotions, à s’exprimer oralement, à effectuer un calcul ...

Selon Elise Freinet, la spontanéité est une démarche première de la vie. Elle est le moteur initial de tout acte sérieux. « La vie, dans les réactions les plus primitives de la cellule, n’a d’autres démarches que la spontanéité. Les démarches de la vie mentale sont identiques à celles de la vie organique. Les démarches spontanées sont perfectibles et c’est par leur jeu que s’établit le tâtonnement expérimental. » (FREINET E, 1962) C’est par le tâtonnement que l’enfant apprend à marcher, à parler, à travailler, à dessiner. « Les genèses diverses établies par Freinet démontrent ce processus de perfectionnement pour ainsi dire naturel qui est la conséquence d’une loi simple : un acte réussi tend à être renouvelé et dépassé pour asseoir une technique de vie sûre sur laquelle en toutes circonstances l’individu peut compter. » (Ibid.) A la manière de la mère qui laisse l’enfant se livrer à ses tâtonnements pour monter vers le langage, l’éducateur doit laisser l’élève tâtonner pour arriver au dessin intentionnel, porteur d’émotions ou d’expression plastique.

La libre expression apporte « des faits de grande vérité sur le comportement enfantin : c’est l’enfant vu par lui-même. L’art enfantin est œuvre vive qui porte en elle des valeurs de sensibilité et d’intelligence, susceptibles d’éclairer notre connaissance de l’enfant d’un jour nouveau. » (Ibid. p 13) L’enfant est l’acteur essentiel des démarches éducatives. La libre expression est la « pédagogie la plus sûre pour faire des intérêts profonds de l’enfant la base d’une acquisition personnelle et d’une formation d’expérience.

En art, l’enfant décide des outils, des techniques et des sujets qu’il va traiter. Il donne libre cours à ses initiatives intellectuelles, affectives et manuelles et c’est pourquoi très vite, il se crée un style personnel qui est sa marque propre. Le style s’affirme par l’arabesque, la mise en page, les types de personnages ou d’animaux, la palette, par tous les impondérables de sensibilité dont la constance va signifiant une individualité.

L’art enfantin ne postule pas pour la beauté mais pour le triomphe de la vie.

Le graphisme triomphe simplement parce que l’enfant a du plaisir à dessiner. (…)Ce plaisir initial, c’est le moteur essentiel de toute éducation naturelle et en définitive, l’enfant comme l’eau, coule où il veut. (… ) L’éducateur n’est là que pour constater le dynamisme du courant, pour en éviter si possible le gaspillage et conserver son potentiel ascendant dans les démarches de plus en plus  parfaites » (Ibid. p 17)

            Dans La méthode naturelle, l’apprentissage du dessin, Freinet vise à expérimenter une théorie, la conclusion de l’expérience. Pour apprendre, le dessinateur doit dessiner. Il faut lui fournir des outils, comme il disposait de cordes vocales, à sa naissance, pour se lancer dans des tâtonnements d’expression orale. L’éducateur doit avoir présent à l’esprit qu’aucun apprentissage n’est gratuit et qu’il ne peut être imposé de l’extérieur. Suivant la parabole de Freinet, il faut rechercher « les sources claires ». Une pulsion de vie guide l’être vivant et oriente ses apprentissages en fonction de ses besoins. La méthode naturelle, l’apprentissage du dessin,  ne donne pas de recette didactique, mais cherche à « mettre à la porté des éducateurs la pratique du dessin spontané, de leur faire comprendre le sens global des travaux de leurs enfants. » (FREINET, 1973, p 20,) Freinet souhaite, comme il l’a fait pour le langage et l’écriture, montrer que l’enfant s’empare spontanément des moyens d’expression lorsqu’on lui offre les outils nécessaires. Les étapes en sont toujours les mêmes : dans un premier temps,  le bébé découvre, par hasard ou par imitation, qu’il peut laisser une trace avec un crayon. Dans un second temps, il va répéter des graphismes réussis. Par expérience tâtonnée, il va saisir le crayon par le bon bout. Son graphisme va s’affirmer. Peu à peu, il le maîtrise davantage. Il se fixe en automatisme, c’est un nouveau pallier qui est franchi. Le dessin est un moyen d’action sur le milieu. « S’il voit qu’on admire cette première réussite, il fera un dessin semblable pour faire plaisir. » (Ibid. p 30) Notons l’importance de la stimulation affective du regard de l’adulte. Si l’apprentissage est naturel, le besoin de communication et  d’encouragements est inscrit dans la nature humaine. Cela nous renvoie à la problématique du milieu riche, favorable aux explorations enfantines. La richesse étant principalement constituée de la variété d’outils offerts à l’apprenant, de la qualité de l’accueil de ses recherches dans un environnement sécurisant. Freinet appliquera la pédagogie de la réussite qui consiste à accueillir  avec bienveillance les productions des enfants afin de ménager leur amour-propre, moteur de leurs initiatives. Dans le cas contraire, le maître peut bloquer l’apprenant et tarir son désir d’expérimenter et donc de progresser.

Dans sa démarche tâtonnée, l’enfant de 4 ans a tendance à répéter ses essais sur une même feuille. Freinet remarque que naissent de ces essais juxtaposés, souvent sollicitées par l’adulte des explications a posteriori, qui viennent donner sens à l’ensemble graphique. En tissant un récit après coup, l’enfant élabore un discours logique. Le dessin devient réellement illustration de texte lorsque l’enfant a acquis une dextérité graphique suffisante. C’est entre 4 et 8 ans que Freinet situe ce qu’il nomme une seconde bifurcation (après celle qui aura fait ou non du dessin un outil d’expression de l’enfant) : « Le dessin, au lieu d’évoluer dans le sens expression, pour ainsi dire narrative, va évoluer vers la couleur et vers l’art, laissant l’aventure se raconter sur un autre plan par le texte manuscrit. »Ibid. p 55)

A 7 ou 8 ans, l’enfant franchit une étape. Il acquiert des compétences en lecture, en écriture, il a accès à une pensée abstraite. C’est un âge où l’on désapprend le dessin. Un milieu aidant favorise le tâtonnement expérimental de l’enfant, il abaisse les obstacles les plus marqués, il facilite et accélère la mécanisation des actes indispensables à la réalisation des besoins primordiaux de l’enfant. Avec pertinence, Freinet note : « Tout comme se prennent à cet âge (entre 4 et 8 ans) certaines habitudes indélébiles de parler ou de raisonner, certains types originaux peuvent, au lieu de s’intégrer à d’autres ensembles ou de disparaître, évoluer jusqu’à une sorte de permanence et de supériorité artistique. » (Ibid. p 54) Et de reprocher à l’enseignement traditionnel d’avoir plutôt eu tendance à cultiver l’uniformité aux dépens des réussites personnelles originales, l’accusant d’annihiler tendances et vocations. Il dénonce un enseignement méthodique de la morphologie humaine et des lois de la perspective qui n’améliore pas les techniques du dessin. Bien au contraire, cet enseignement risque de donner le sentiment qu’aucune œuvre ne saurait être réalisée tant que ne sont pas acquises les règles et comporte l’écueil « d’inhiber la sensibilité, l’allant et l’intrépidité qui marquent la création d’œuvres exclusivement personnelles. »(Ibid. p87)  Le dessin d’enfant ne doit pas être corrigé car chaque dessin, avec ses erreurs, et ses potentialités est un palier de l’apprentissage. « C’est ainsi que chaque enfant acquiert un style personnel d’expression, marque d’originalité et de sensibilité exclusive. C’est la voie ouverte aux subtilités de l’art et de la poésie qui déjà, dans les œuvres enfantines, font pressentir le destin spirituel de l’homme. Les grands artistes sont ceux qui savent revenir aux démarches de leur enfance pour asseoir un talent que parachèvent les pouvoirs de l’âge mûr. » ( Ibid. p 87) A propos des phénomènes de groupes Freinet écrit : « S’il a vu un de ses camarades dessiner des ronds, des autos ou des fleurs, il aura maintenant (à l’âge de 2 ans et 7 mois) tendance à interpréter ses graphismes. » (Ibid. p 31)  Les phénomènes de groupes sont un ferment de la méthode naturelle : « Tous les éducateurs savent que s’instituent facilement, dans une classe, sur la base de quelques réussites, une atmosphère d’école – école étant pris dans le sens artistique – et que les dessins tendent à se ressembler comme facture, ce qui fait croire, parfois, à une influence autoritaire et exagérée du maître. » (Ibid. p 52)

Pour « fonctionner », la méthode naturelle d’apprentissage doit reposer sur une pratique répétée. Si les séances d’art plastique sont trop espacées, l’individu n’a  les moyens ni de tâtonner réellement, ni de poursuivre une  réflexion dans la continuité par la théorisation de sa propre démarche. Qu’il s’agisse de textes ou de dessins libres, pour s’inscrire dans un processus où l’apprenant s’implique dans son propre apprentissage, la mise en situation doit pouvoir se répéter avec un minimum de constance. Ceci implique une organisation de la classe permettant à l’apprenant de trouver du temps, pour se livrer, de lui-même, à des tâtonnements, s’approprier un espace et  maîtriser des outils. Freinet invite à cultiver les réussites des enfants de manière à leur permettre de s’épanouir dans tout le dessin et dans toutes les branches de l’enseignement : un réussite dans un domaine valorisera la matière dans laquelle elle est survenue, gratifiera l’individu et aura des répercutions dans d’autres domaines d’activité. La théorie de la résilience confirmera cette hypothèse.

Logiquement, Freinet s’élève contre l’utilisation du dessin comme support d’évaluation de l’intelligence car il reproche aux échelles de notation d’être basées sur des exercices scolastiques normatifs.

Freinet propose la classification suivante (FREINET C, 1973, p 76) :

2.2.  Les genèses :

La méthode naturelle, l’apprentissage du dessin est publié en 1969, soit trois ans après la mort de Freinet, la mise en forme de l’ouvrage a probablement été réalisée par son épouse qui poursuivit  le travail dans la direction entamée par Freinet. 250 pages sur les 350 que compte l’ouvrage sont consacrées aux genèses. Elles consistent en une analyse, à posteriori, des productions naturelles des enfants, ici, les dessins libres, c’est à dire sans contrainte quant aux sujets, ni consignes quant à la démarche. Le maître a  sélectionné et proposé le matériel. Il a choisi le moment et organisé l’espace pour dessiner. Les genèses rassemblent des dessins libres originaires de différentes classes pratiquant l’expression libre. Ils sont sélectionnés par thème où, preuves à l’appui, Freinet expose la familiarité des démarches naturelles de conquête graphique d’un enfant à l’autre.  Il démontre, par les faits, l’efficience du processus naturel d’apprentissage du dessin (sans consigne, sans dévolution), la nécessité de laisser l’enfant suivre ses recherches personnelles qui seront toujours mieux adaptées que toutes celles proposées, imposées par le pédagogue. La meilleure posture du maître est d’éviter de déranger, par ses interventions intempestives, les justes tâtonnements de l’enfant. Cela vaut pour l’art comme pour tous les domaines de la culture. La pédagogie étant l’art des nuances, l’éducateur n’en est pas moins activement présent. S’il se prive d’orienter par des consignes exagérément inhibantes le travail des apprenants, il joue un rôle essentiel dans le processus d’émulation. Il incite aux échanges horizontaux entre pairs. Il met en valeur des œuvres qu’il sélectionne, estimant que  cela aura une incidence positive sur les productions à venir, soit pour gratifier un enfant ayant besoin de gagner confiance en lui par la reconnaissance du groupe, soit parce qu’une « brèche » a été ouverte par un pionnier et qu’il est opportun d’en faire profiter le groupe. La coopération est vécue au quotidien. S’inspirer du travail d’autrui est une richesse. C’est le contre-pied de l’idéologie de la rivalité, de la concurrence et de la compétition. Chacun enrichit le groupe par son originalité et peut puiser au sein du groupe des sources d’inspiration, des techniques, des savoir-faire.

2.2. Effet thérapeutique de l’expression libre :

Dans Les Dessins de Patrick, Paul Le Bohec s’intéresse à l’effet thérapeutique de l’expression libre à travers des monographies. Il étudie les productions d’une classe, a posteriori, il les analyse et en tire quelques hypothèses. Il avait déjà rendu compte de cette façon, de l’évolution de l’écriture, en miroir, d’un gaucher (LE BOHEC, 1968). Il avait étudié des poèmes produits dans la classe Michèle Le Guillou (LE GUILLOU, LE BOHEC, 1974). Sans se livrer à une véritable étude psychanalytique, il émet quelques hypothèses psychologiques. Il prend le parti d’une psychothérapie populaire et naturelle. Il estime que « l’allègement automatique que produit toute expression un peu suivie »  a un effet thérapeutique et que les établissements qui reçoivent des individus «chargés», pourraient accéder à une psychothérapie populaire en favorisant l’expression graphique libre. (LE BOHEC, 1980, p 18)

Dans Les dessins de Patrick, il étudie les dessins et les textes libres d’un enfant, complétés de quelques informations données par la maîtresse. C’est une étude descriptive, à la fois sémiologique, chronologique et psychanalytique. Ayant accès aux 3000 dessins produits par cette classe, il procède à des mises en relation avec les productions des autres enfants. Il émet des interprétations en évitant d’être intrusif. Il se défend d’une excessive psychologisation de la posture du maître. Il lui fixe pour mission de multiplier les occasions de libre expression dans la classe, sources d’équilibre et de formation, concluant : « Les libérations que procure  l’expression ont des répercussions positives sur la vie de la classe. La liberté d’expression permet un  rééquilibrage par la symbolisation. Mais l’école n’a pas à récupérer cette production, d’en faire un élément du « progrès » au sens scolaire actuel. Elle se suffit à elle-même et doit être respectée. Nous nous plaçons résolument dans la perspective d’une transformation de l’école  qui doit se mettre au service des individus et des groupes et non au service d’une société consommatrice, aliénante et récupératrice.» (Ibid. p 17)

Chapitre 3 – La revue Art Enfantin

3.1.    Construction des données :

            En 1959, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne (ICEM) se lançait, à travers sa maison de production, d’édition et de diffusion de matériel pédagogique, la CEL, dans la publication de la revue Art Enfantin. Depuis, le Mouvement Freinet n’a cessé de publier une revue d’art. En 1970, le terme Créations a été accolé à celui d’Art Enfantin. En 1981,  Art Enfantin et Créations est devenu Créations qui demeure une revue d’art des enfants mais plus exclusivement puisqu’elle publie systématiquement des reportages sur des artistes adultes contemporains. Nous allons nous en tenir à l’étude de la première version (1959-1981) car elle forme une unité ayant peu évolué dans sa  politique éditoriale.

            Nous voudrions, par une lecture détaillée de la revue, mettre en évidence les intentions du mouvement  Freinet dans le domaine artistique. Nous aimerions, en étudiant la mise en page et le contenu, déceler les préoccupations pédagogiques auxquelles elles font référence. Nous nous intéresserons, d’une part, au message que le mouvement Freinet a voulu transmettre et, d’autre part, aux moyens choisis pour le faire. Nous espérons ainsi pouvoir embrasser les intentions et la démarche en art enfantin de ce mouvement pédagogique,  de façon ample, dans la globalité et la complexité, pour reprendre une terminologie freinesienne. Nous faisons donc le pari, à travers cette étude, de retrouver les fondements de la pédagogie Freinet. Pour ce faire, nous avons réalisé un échantillon.

Nous disposions d’un effectif total de 52 numéros de la revue sur les 101 publiés. Ces exemplaires ne se suivaient pas chronologiquement. Ils avaient été rassemblés de manière aléatoire, en 1987, lors de la fermeture de la CEL. Il est donc constitué du stock d’invendus malgré une politique de relance des abonnés pour commander d’anciens numéros. Nous pouvons émettre l’hypothèse que les numéros manquant ont été épuisés. On pourrait en déduire que leur contenu avait une valeur supérieure aux yeux des lecteurs. Par chance, nous pourrons les consulter car le mouvement Freinet a fait un effort d’archivage sur son site Internet (possibilité de consulter tous les numéros publiés de 1959 à 1981). Nous pourrons ainsi en étudier le contenu et le comparer à notre échantillon. Nous préférons, cependant, travailler sur le support papier dont nous disposons car il est plus facilement manipulable que les archives virtuelles. De plus, il apportent des informations supplémentaires à celles données par l’écran : Mise en page, type de papier utilisé, proportion des espaces occupés par les textes  et les reproductions.

            Sur la centaine de numéros que compte la revue Art Enfantin, devenue Créations en 1981, nous en avons sélectionné arbitrairement dix-huit. Compte tenu des exemplaires à notre disposition, nous avons décidé de retenir trois numéros consécutifs répartis comme suit :

1959 – N° 1 .2.3 et 4 (numéro double)

1963 – N°14-15.16.17-18

1971 – N° 58.59.60

1973 – N° 65.66.67

1976 – N°82.83.84

1980 – N°94.95.96

Pour  approfondir notre recherche, nous avons utilisé le logiciel d'analyse de textes « Tropes » dans sa version gratuite, téléchargeable. Aussi, ne pouvons-nous pas faire apparaître des données produites directement par cet outil. En revanche, nous transcrivons les données ainsi obtenues. Nous avons, pour cette étude, constitué un sous-échantillonnage comme suit :

-           Numéros 1, 2, 3 et 4 (qui est un numéro double) de 1959-1960

-           Numéros  58, 59 et 60  de 1971-1972

-           Numéros  94, 95 et 96 de  1979- 1980

            Soit trois moments équidistants dans le temps : celui de la création (1959),  environ dix ans plus tard (1971), puis encore un dizaine d'années séparent le dernier échantillonnage, un an avant  le passage à Créations. Un ensemble de dix numéros sur les 101 publiés, soit 10% de l'ensemble des exemplaires existants. 

            Dans ces échantillons, nous nous intéressons plus particulièrement aux textes d'adultes bien qu’ils ne soient pas tous aisément identifiables. Certains textes laissent dubitatifs quant à leurs auteurs. On pressent une combinaison d'expressions enfantines et de rédactions d'adultes. Nous avons conservé ces textes. En revanche, nous avons délibérément éliminé les écrits clairement identifiés comme production enfantine. Nous avons constitué trois blocs rassemblant chacun l'ensemble des textes adultes des  trois numéros consécutifs. Puis nous les avons passés au crible de l'analyseur de textes « Tropes ». Grâce à ce logiciel, nous évaluons les champs de référence des écrits adultes, à trois  moments distincts, d'une part, pour en identifier l'essence, d'autre part, pour en mesurer l'évolution.

            Pour analyser comment se répartissent productions d’enfants et textes d’adultes, d’une part, nous nous livrons à une étude quantitative, d’autre part, nous nous attachons au contenu des écrits adultes qui ont souvent pour mission de rehausser, de se mettre au service de la production enfantine. L’étude porte sur l’espace occupé et ne peut consister en un comptage de signes car les textes des enfants sont plus courts, occupant, cependant un espace important car imprimés en caractères plus gros que les textes d’adultes. 

3.2.    Analyse des caractéristiques de la revue :

La revue s’appuie sur les productions de classes Freinet. D’année en année, elle relate la vivacité de cette forme d’art particulière. Le public auquel elle est destinée n’est pas distinct. Il s’agit autant de l'enfant que de l’adulte. Le premier concerné étant l’éducateur qui en fera bon usage en la lisant, en s’en inspirant, en la diffusant, en y collaborant, en la faisant lire aux enfants, aux parents, en la faisant vivre.

Le titre de la revue allie discours de pédagogues et réalisations enfantines. D’une part, il insiste sur l’idée que l’Art est à la portée de tous, des enfants, des enseignants, de tous les humains s’inscrivant ainsi dans l’utopie socialiste, libertaire et autogestionnaire d’une société où tout individu puisse avoir accès à l’expression et à la culture.  D’autre part, il évite d’enfermer l’art des enfants dans une catégorie subalterne à celui des adultes comme s’il était un art immature, un art mineur. Le concept d’art enfantin place l’art des enfants sur un autre registre que celui des arts plastiques. Non seulement parce qu’il inclut d’autres domaines esthétiques, mais surtout parce qu’il signifie que tous les enfants de tous les milieux peuvent acquérir naturellement des compétences artistiques, comme dans tous les autres domaines du savoir. Ce n’est pas un domaine réservé ni à une classe d’âge, ni à une classe sociale. Replacée dans le contexte des années cinquante, cette proposition était d’avant-garde.

       Tous les spécimens de l’échantillon et tous les exemplaires à notre disposition sont faits de matériaux luxueux. Les numéros 1, 2, 3 (1959) et de 14 à 18  (1963), ont été imprimés par Merle et compagnie à Grasse. Ils comportent  chacun, une couverture cartonnée ainsi que des cahiers en quadrichromie. Les autres pages sont en papier épais et glacé. Les illustrations  internes en quadrichromie au nombre de 2 pour le N°1, 2 pour le N°2, 8 pour le N° 3, sont particulièrement soignées. Au verso, figurent les seuls noms de l’œuvre et de l’auteur comme on le fait souvent dans les livres d’art. La couverture de l’ensemble des magazines est aussi l’occasion de mise en valeur de productions enfantines. Par la suite, l’imprimeur sera la CEL. La couverture reste cartonnée et la quadrichromie explose. Sur l’ensemble de l’échantillon, 9,73 pages par numéro sont en couleur sur une moyenne de 38,66 pages, soit  un peu plus de 25 %. L’évolution des techniques d’impression a sûrement facilité l’augmentation de la place de la couleur dans la revue. Cela accroît le mérite des premiers numéros où la couleur, rare et chère, est consacrée à servir des peintures qui occupent, alors, de pleines pages. Par la suite, particulièrement à partir de la seconde moitié des années 70, l’utilisation de la couleur est bien moins pertinente. En 4ème de couverture, les 4 premiers exemplaires de l’échantillon  montrent un oeuvre d’enfant. Ce déploiement de luxe pour l’organisation militante, longtemps à contre-courant de l’idéologie dominante, a un coût dont on pressent la valeur sous la plume d’Elise Freinet dans l’éditorial du premier numéro : « Mais il n’est point de rêve si généreux soit-il, il n’est pas d’offrande, si fervente soit-elle, qui puisse forcer les portes de l’avenir sans payer tribut à ce dieu  cupide et méprisable : l’argent. A chacune de nos initiatives, nous l’avons vu se dresser devant nous, cruel dans ses menaces d’anéantissement,  perfide dans ses détours et ses manigances, impatient toujours de conclure un marché de dupes dont nous devions faire les frais. Et il est exact qu’il a failli maintes fois nous terrasser... »

           La mise en page, luxueuse, est au service de l’expression enfantine. Exceptée la rubrique Actualité présente en continu à partir du N°58 de notre échantillon et qui a pour but de donner de rapides informations aux éducateurs, sur deux pages, l’ensemble des textes d’enfants et d’adultes ainsi que l’iconographie sont présentés sans souci d’économie d’espace. Les caractères sont de grande taille, les titres occupent parfois une demi page, les textes sont souvent encadrés d’un blanc important qui donne une impression d’aération de l’ouvrage, caractéristique propre aux livres d’art. Les articles des trois premiers numéros sont même introduits par une enluminure.

Il y a peu de rubriques fixes, chaque exemplaire est conçu en fonction d’un contenu particulier. Cependant, reviennent régulièrement :

§         Des comptes rendus de pratiques de classe,

§         Des illustrations aux styles variés,

§         Les pages actualités destinées aux adultes, placées en fin d’ouvrage,

§          La proposition de techniques dont voici une liste non exhaustive : 

-         Peinture

-         Crayons/ Fusain, sanguine

-         Drawing gum

-         Sculpture/ modelage : plâtre, argile, ciporex, bois, fil de fer, ferraille, pierre, tôle d’aluminium

-         Tapisserie

-         Linogravure

-         Monotype

-         Bricolage libre, à partir, notamment d’objets récupérés.

-         Carte à gratter

-         Masques

-         Maquillage/ papier collé

-         Imprimerie

-         Fabrication d’instruments de musique

-         Monotypes/colle

            Le mouvement Freinet, massivement constitué de praticiens, s’intéressera de près au matériel utilisable en classe. La CEL en produira, elle s’associera à des partenaires pour promouvoir des outils de qualité et en faire la publicité dans ses organes, comme c’est le cas pour Art Enfantin en avant-dernière page ou sur la quatrième de couverture d’un certain nombre d’exemplaires constituant notre échantillon.

Les sujets et techniques correspondent aux classes d’âge. La création artistique précède l’écriture, elle est accessible aux enfants n’ayant pas encore été alphabétisés. Additionné à la liberté d’action qu’offre la souplesse des programmes en maternelle, logiquement, nous relevons une surreprésentation de l’école maternelle en matière picturale. Les poèmes  et sculptures viennent plutôt du primaire et du collège. Souvent, les œuvres sont signées du seul prénom de l’auteur, façon de valoriser le travail et d’éviter le culte du chef d’œuvre, de l’élitisme et du don. 

            D’une façon générale, l’espace offert aux oeuvres domine. Même dans les premiers exemplaires qui contiennent les textes d’adultes les plus denses, le cumul illustrations et textes d’enfants est systématiquement majoritaire. Un comptage difficile en raison de l’évolution de la mise en page au fil de la publication, rend compte de l’occupation de l’espace. En prenant arbitrairement pour base deux colonnes par page, nous obtenons un total de  1392 colonnes réparties comme suit :

§         Œuvres d’enfants : 724 colonnes

§         Textes d’enfants (textes libres et poèmes confondus) :227colonnes

§         Textes d’adulte (y compris pages actualité) : 315 colonnes.

            Les reproductions d’œuvres d’enfants en art plastique occupent plus de la moitié de l’espace. Une moyenne de 25 % ces illustrations occupent une pleine page, souvent en quadrichromie. 16 % de l’espace papier est occupé par les textes d’enfants et  23 % est occupé par des écrits d’adultes...qui souvent commentent l’œuvre d’enfant, ses conditions d’émergence, glorifient sa valeur. Les 9 % restant allant aux  titres et espaces blancs.


Indéniablement, la revue Art Enfantin est au service de l’expression enfantine. Unique en son genre, cette revue d’art des enfants est conçue comme les revues de l’art fait par des adultes : les œuvres en sont l’expression. Elles se suffisent presque à elles-mêmes. Le commentaire reste restreint. Le langage, c’est l’art, en soi. Et tout concourt à dire que l’apprentissage de l’art plastique et de la poésie part de l’expression spontanée et libre des enfants. 

Nous ne nous attarderons pas sur les photos d’illustrations de texte ou de poèmes, notamment les gerbes adolescents (recueils de textes libres et de poèmes d’adolescents qui fit l’objet d’une publication spécifique de la CEL), comme par exemple dans le N°96 (1980) où ce type d’illustration, sans cadre, l’image se mariant, dans un flou artistique, au texte en surimpression, était à la mode dans la presse qui souhaitait remettre les cadres en question comme si le maquettage incarnait un souhait idéologique.

Les photographies en noir et blanc des premiers numéros ne vont pas sans rappeler les célèbres photographies d’enfants de Robert Doisneau. On y retrouve les mêmes tabliers cache misère, uniforme des écoliers. Cependant, notre échantillon nous offre seulement deux portraits d’enfants (N°2 et 3). Le culte de l’enfance Freinet ne passe pas par ce type d’esthétique statique. En revanche, de manière régulière (33 sur 130 photos retenues), on voit des enfants actifs, seuls ou en groupe, la plupart du temps aucun adulte ne figure dans le champ comme si l’on voulait signifier que l’organisation particulière des classes Freinet permettait aux enfants de développer des capacités d’autonomie et d’implication dans leurs activités de telle façon qu’ils se formeraient par eux-mêmes à « l’éducation du travail ». Le lecteur est frappé par le sérieux et l’application de ces enfants tellement absorbés par leur activité qu’ils semblent ne pas remarquer l’objectif qui les photographie.  S’il n’y a pas de mise en scène, le message se veut clair. Un travail vrai, motivé, entraîne une attitude responsable. Les problèmes d’indiscipline sont évacués. Le lecteur d’aujourd’hui peut rester sceptique. L’incidence  de l’évolution des conditions de vie des enfants sur leur rapport au travail et à l’autorité ne peut tout expliquer. Il est probable, sur ce point, que le mouvement Freinet ait eu tendance à suivre le modèle général en ce milieu de 20ème siècle qui consistait à simplifier les situations par prosélytisme.  Jusqu’en 1968, les tabliers sont de mise, les enfants sérieux, concentrés sur leur œuvre. Par la suite, le tablier disparaît, des sourires apparaissent. L’accent est mis sur la démarche, le contenu des textes change, il est moins emphatique. Quelque chose de sacré s’est dilué. Cette période semble marquer la transition d’une époque idéalisant l’expression artistique des enfants à une ère où comptent davantage l’exposition de techniques et les comptes-rendus d’expériences.

      Parmi les enfants acteurs, on relève un élève écrivant, 5 imprimant (texte, linogravure), 8 modelant et sculptant, 15, soit la majorité peignant. Les enfants pris sur le vif, en train de produire, sont la principale ressource photographique de la revue. Ces vues sont spectaculaires et illustrent comment la classe peut fonctionner autrement que par le modèle, le cours magistral et une organisation de l’espace fixée par les rangées de bancs. Ceci n’est pas sans rappeler l’un des premiers actes symboliques de la mythologie  du mouvement : Freinet brûlant l’estrade pour chauffer la classe.

      Six photos ont été prises, dans le style journalistique, d’expositions réalisées lors de congrès, notamment « les maisons de l’enfant » où l’on reproduisait artificiellement une chambre d’enfant décorée d’objets réalisés par les élèves. On y voit aussi des groupes d’adultes (3) en congrès.  En revanche,  seul le numéro 84 montre un coin sculpture pour illustrer la façon dont une classe peut être organisée pour pratiquer de telles activités.

Une masse importante de l’iconographie photographique (44 sur 130) constitue des illustrations d’activités, des reportages (fête scolaire, carnaval, rencontre d’art dramatique, visite de musée, etc.). Ces photographies sont généralement de format plus réduit, parfois en nombre important, jusqu’à 4 sur une même page. De toute évidence, et c’est dans la logique d’un livre d’art, l’iconographie a une place de choix comme nous allons l’étudier dans le paragraphe suivant. Logiquement, à partir des années 70, la quantité de photographies couleur va croissant, véritable phénomène de société même si la revue y échappe partiellement, pour des raisons d’économie.

3.3.   
Le discours :

Il semblerait que la politique éditoriale, pour la période qui nous intéresse, a consisté, en un premier temps, à donner une ligne politique à la revue. L’abondance de textes d’adultes caractérise les six premiers exemplaires de notre échantillon. Reviennent, de façon récurrente, les signatures des membres du comité de rédaction, regroupés autour d’Elise Freinet. Cette dernière est d’ailleurs présente dans les six premiers exemplaires de notre échantillon. Elle signe même deux articles dans le N°14 et trois dans le N°15-16. Notons qu’après la mort de Freinet, dans la lutte de pouvoir qui l’opposa à d’autres candidats à la succession, Elise sera définitivement écartée du mouvement et son nom disparaîtra de la publication.

      Signe étrange pour ce mouvement qui a longtemps contesté le principe de l’inspection, Madeleine Porquet, Inspectrice des Ecoles Maternelles, membre du comité de rédaction, est aussi très présente, à cinq reprises dans les six premiers spécimens de notre échantillon. Le ton de ses articles est conforme à celui en vigueur dans la revue durant cette période : mêmes démonstrations de foi en l’art enfantin, la spontanéité, la capacité naturelle des enfants à se former par eux-mêmes sous le regard vigilant d’un éducateur confiant…On imagine, sans peine, l’apport de poids d’une telle collaboration à une époque où une pratique hors norme suffisait à susciter d’injustes brimades de la part d’une hiérarchie privilégiant encore trop souvent l’idéologie à l’efficacité pédagogique. Mauvaises notes d’inspections, ralentissement des plans de carrière ayant une incidence sur le salaire sanctionnaient même les meilleurs enseignants pour leur appartenance au mouvement Freinet. Le soutien de cette inspectrice est une aubaine pour le mouvement et la promotion de ses valeurs. Il n’est donc pas surprenant qu’elle occupe un poste de porte-parole du mouvement. 

La photographie suivante et son commentaire sont extraits du numéro 3-4 consacré au congrès d’Avignon de 1960.

       Les éducatrices maternelles, groupées autour de Madeleine Porquet, en travail de commission.

      Paulette Quarante, Membre du comité de rédaction fait partie de ces militants de base qui constituent la cheville ouvrière du mouvement. L’art est sûrement son domaine de prédilection puisqu’elle exerce en maternelle lors de ses premiers écrits. Sa signature réapparaît dans le N°65, elle est alors chargée d’une classe spécialisée.

             Des noms qui vont durablement marquer la vie du mouvement apparaissent au fil des publications. Paul Delbasty  (N°17-18), inventeur de l’instrument de musique l’Arial, célèbre pour ses formules à l’emporte pièce, sa verve et sa capacité d’innovation. Clem Bertheloot (N°3), Institutrice en maternelle dans le Pas-de-Calais, qui sera invitée, avec son époux Maurice Bertheloot à travailler à l’école de Vence à la mort de Freinet. Paul et jeannette Le Bohec, Jean Legal, Janou Lemery, Anto Alquier, Patrick Laurenceau...pour n’établi qu’une liste non-exhaustive d’un mouvement constitué de personnalités fortes et qui « a la chance de ne pas avoir de tête, mais seulement des pieds... » selon les mots de Belbasty repris par Le Bohec. Ce dernier aime à comparer le mouvement Freinet à une pyramide reposant sur son sommet, l’opposant ainsi à une organisation hiérarchisée où la ligne et les directions seraient prises par une minorité pour être imposées à une majorité...

            La vie du mouvement est marquée  par l’implication de couples célèbres. Les mariages endogamiques dans la catégorie sociale ont souvent uni des couples dans la militance : Elise et Célestin Freinet, Paul et Jeannette Le Bohec, Edith et Roger Lallemand, Gui et Renée Goupil, Clem et Maurice Bertheloot pour nous en tenir à quelques signatures aperçues dans la revue…

             Dans les premiers numéros, certains articles sont signés Art enfantin ou Ecole Freinet. Ils ont sûrement été rédigés par des membres déjà cités du comité de rédaction. La revue se veut aussi le reflet de la vie du mouvement. Notamment à travers  des reportages retraçant les expositions lors des congrès (Avignon : 1960, Niort : 1963, N°17-18).  Régulièrement, régions et groupes départementaux sont chargés de donner un aperçu du travail réalisé localement dans les classes Freinet, en matière artistique: La Provence avec Paulette Quarante, en 1973, N°65 ; La Loire, en 1977, N°83, ou un secteur : en 1977, N°84 consacré aux adolescents.

            Comme c’est pratique courante en pédagogie Freinet, l’adulte prend la parole pour la céder dès que possible aux enfants, en donnant une abondance d’exemples de propos tenus par les enfants (cf. N°66 p1 à 4). La théorie est énoncée ailleurs, notamment dans les œuvres fondatrices que sont  les genèses  de Freinet ou Dessins et peintures d’enfants d’Elise Freinet. La plupart des articles de la revue, illustrations à l’appui,  reprennent ces théories pour les confirmer. Le discours reste volontairement métaphorique. Il glorifie « La poussée de la vie orientée par le tâtonnement expérimental », l’enfance, la spontanéité et la création. L’hymne à l’enfance y est sans cesse répété, égrainé au fil des colonnes tel un leitmotiv. Avec émerveillement, on vente le mérite de l’expression libre, de la créativité naturelle, de la spontanéité des enfants. C’est un Culte à l’enfant comme être aux multiples potentialités qui ne demanderaient qu’à se développer pour peu que des éducateurs attentifs sachent préserver son potentiel créatif. L’enfant est décrit s’épanouissant dans une école qui le valorise. Il pourra être ce citoyen libre et responsable apte à s’impliquer dans une société de justice et de fraternité. Il est porteur de potentialités supérieures à celles de l’adulte qui en a la charge. Il ne craint pas, comme lui, le monde moderne et ses machines infernales. Art Enfantin propose des écrits rhétoriques cherchant à emporter l’adhésion du lecteur dans l’espoir qu’il passe à l’action et s’essaie à de nouvelles pratiques.

             On fait appel rarement au répertoire adulte, même si les éducateurs sont invités à accroître leur culture artistique. (Articles consacrés au Bestiaire sculpté en France de V.H. Debidour  ou l’invitation à lire la revue d’art « Jardin des arts » (N°16, 1963) ; au Traité de la peinture d’Armand Drouant ou celui consacré aux Femmes d’Alger de Delacroix, dans le N°17/18 de 1963 ; Exposition Jean Lurçat à Nice, (N°14/15, 1963). Par la suite les pages Actualités donnent de régulières informations sur les publications et expositions).

             Les enseignants Freinet ont été sensibles à l’avant-garde surréaliste qui marqua leur temps, mais sans exclusive, sans prise de position partisane. Il faut voir dans l’attrait pour le surréalisme, la reconnaissance d’une parenté de démarche intellectuelle et d’engagement politique en faveur de la désacralisation de l’art et de la démocratisation de la culture.

            L’art enfantin étant une forme d’art à part entière, il n’y a aucun texte d’artiste, sinon quelques courtes lettres de soutien, comme celles de Cocteau ou Dubuffet, preuves supplémentaires de l’intention des freinetistes de s’intéresser avant tout à l’art des enfants qui, selon eux, est distinct dans sa démarche et ses intentions de l’art reconnu, de l’art officiel. Ce principe sera abandonné avec la revue Créations qui succède à Art Enfantin en 1981. L’utopie marxiste d’un art populaire à la portée de tous est émoussée, une nouvelle politique éditoriale est alors inaugurée, reconnaissant un savoir-faire des artistes professionnels. Ces spécialistes de l’art interviennent désormais dans la revue pour parler de leur métier. L’enquête auprès d’artistes établis devient systématique. 

Deux évènements d’ampleur séparent le N°18  du N°58. En 1966, Célestin Freinet meurt. Mai 68 sera un véritable ouragan traversant le monde de l’éducation. Quel sens faut-il accorder, dès lors à la réduction du discours adulte dans la revue  au  début des années soixante-dix (N°58 à 65), hormis dans les pages « Actualité » ? Cette vitrine du mouvement qu’est Art Enfantin, atténue-t-elle la présence adulte sous l’influence de la mode de la non-directivité ? D’une volonté démonstrative, on passe à la banalisation d’idées, de trucs techniques. En même temps, place est faite au spectaculaire : sculptures en tôle d’aluminium (N°67), Vélos « détournés » aux Fabrettes (N°82).

      Dès les premiers tirages, on sent une volonté de donner à voir des élèves d’horizons et de classes d’âge les plus divers. L’origine géographique des contributions s’étend à l’ensemble de l’hexagone, le dépassant parfois avec des incursions en Belgique et en Suisse. Reviennent même des contributions originaires du Cameroun. Un reportage est effectué dans une école Freinet mexicaine. On veut insister sur l’universalité de la pratique artistique. L’art enfantin peut naître autant dans les campagnes reculées qu’en zone urbaine. Le discours demeure progressiste, insistant  sur les possibles progrès pédagogiques grâce à l’imagination et à la force de caractère des éducateurs malgré le dénuement matériel et les difficiles conditions de travail. On dit les effectifs surchargés. On valorise même les enfants de milieu modeste et le travail du prolétaire : chiffonnier, mineur, ouvrier (l’usine). On décrit des cadres austères d’où naissent des trésors, c’est la belle fleur poussant sur un tas de fumier. Prévert n’est pas loin. Les Freinet sont déterminés à promouvoir une école populaire, l’art étant l’un des multiples domaines de la culture devant être accessible à tous les enfants, classes sociales, âges et lieux d’origine confondus.

Les sujets qui se dégagent sont massivement des comptes-rendus de pratiques de classe et des propositions de techniques. Un comptage grossier leur donne 1/3 de l’espace écrit. Les textes libres, gerbe  adolescents et histoires illustrées occupent  plus du 6ème de la revue. Par ailleurs, nous avons vu l’immense place accordée aux œuvres picturales et graphiques. Ceci confirme que la politique du mouvement, à travers cette publication est d’accorder une place primordiale à l’expérience de la pratique. Libre à chacun, de se mettre en route, d’approfondir ses pratiques en se lançant vers de nouvelles voies, en réfléchissant à de nouvelles mises en place techniques. La revue se veut incitatrice et susceptible d’échanges coopératifs de pratiques.  Le principe de la revue est simple : le tâtonnement expérimental est la base de tout apprentissage. Pour atteindre cet état de centration sur sa propre quête, en dynamique avec le groupe, l’enfant doit être impliqué dans son apprentissage. En art, plus que dans tout autre domaine, l’affectivité émerge, participe de l’activité de recherche picturale, graphique, musicale ou littéraire. La liberté d’expression est l’une des conditions d’émergence de la création, c’est bien le sens de « expression libre ». Les freinetistes ne sont pas dupes. Ils savent le poids des stéréotypes et des conditionnements (cf Leçons de poésie par Célestin Freinet, Art Enfantin, N°13 à 19). Comme si l’oeuvre produite se suffisait à elle-même pour montrer comment, grâce à l’expression libre, des enfants peuvent s’approprier leur formation, Art Enfantin donne à voir des réalisations, des réussites. Le magazine rend compte des pratiques et cherche à inciter les lecteurs, adultes ou enfants, à se mettre en route.  Les échanges sont délibérément horizontaux, dans le sens où ils se déroulent hors de la hiérarchie Education Nationale et de ses sanctions. Comme le dit Paul Le Bohec, lors des séances de méthode naturelle, par « leur antériorité de mise en route », certains ont une avance dans leur pratique, leur réflexion et leur aisance et tentent de les communiquer à leurs pairs.  La  part du maître est centrale, c’est du travail de l’éducateur, même s’il n’est plus à parler du haut de son estrade, que dépend la mise en route du processus de création et d’expérimentation des enfants. La revue essaie de contribuer au démarrage et au dynamisme des enfants comme des éducateurs. Mais si l’adulte tente de rester discret en mettant en avant les réalisations des enfants, ce n’est pas par anti-intellectualisme. La ligne donnée par les premiers numéros et la rubrique Actualités incite les éducateurs à se cultiver dans le domaine artistique. 

3.4. Etude détaillée  de numéros :

3.4.1.      Analyse  des textes des numéros 1, 2, 3 et 4 (numéro double):

            Le logiciel d’analyse de textes « Tropes » nous apprend qu'il est composé de 20 373 mots. Cette relative abondance (comparée aux deux échantillons suivants analysés) confirme nos impressions de lecture. Les univers de référence font apparaître :

-     L'Enfant (62 fois) ;

-         Les sentiments (55 fois). Ce champ sémantique se réfère aux émotions de l'enfant créateur (joie, enthousiasme, sensibilité, passion, bonheur, larmes, fougue, plaisir, sourire, mélancolie...), à l'approche philosophique de l'esthétique (inquiétude, espérance, amour, désir, passion...) et à la démarche pédagogique (confiance, appréhension, angoisse du maître).

-         Le végétal (42 fois).  Le végétal est un champ qui induit en erreur puisque le logiciel retient dans cet univers de référence la couleur « mauve », le « souci » de l'avenir, le « fruit » de l'effort ; toutefois, la référence romantique à la nature est explicite.

-         L'art (38 fois), c’est presque la moitié de la représentation de l’univers de l’enfance, confirmant que l’intérêt se porte bien plus sur l’enfant que sur l’art en soi.

-         La référence au temps (35 fois). Par rapport à l'action militante (Ce qui a été réalisé, par le passé, ce qu'il reste à faire). Par rapport à l'âge de l'enfant. Par rapport à des projections dans l'avenir [de l'enfant qui grandit, de l'école qui change, du travail militant qui avance]. Par rapport au temps nécessaire à l'apprentissage.

-          Le corps (34 fois). Le corps est énoncé essentiellement en référence aux parties du corps de l'enfant, tout particulièrement ses sens en alerte et la main « pour faire ».

-          La relativement faible présence des thèmes de la cognition (29 fois) et de l'éducation (26 fois), confirme la volonté de ne pas charger de théorie le discours de la revue.

-          La vie (22 fois) ;

-          Les comportements (17 fois). Il s'agit essentiellement du comportement de l'enfant, son audace, son intrépidité, son impatience, sa désinvolture...

-         La notion d'oeuvre (17 fois).

            On note aussi d'autres références utilisées :

-           Le monde (19 fois) ;

-         La famille (15 fois). Sont retenus les mots famille, maman, papa, mère, père, soeur, frère, fils, filles, particulièrement présents lorsqu'il est question de l'enfance.

            Tropes décèle un style plutôt argumentatif, à la mise en scène dynamique, fondée sur l'action. 50% des verbes sont factifs (ils expriment l'action). Le verbe « être » est écrit 112 fois, « avoir »( 39 fois) ; « faire » (37 fois), « pouvoir » (21 fois) ; « dire » (20 fois) ; « savoir » (16 fois) ; « voir » (15 fois) ; « aller » (10 fois), mais « travailler » apparaît deux fois seulement. L'adjectif « beau » est utilisé 16 fois et « grand » 15 fois, dans le sens de croissance de l'enfant.

3.4.2.       Analyse  des textes des numéros 58, 59 et 60 :

            Les textes d’adultes de ces trois exemplaires mis bout à bout rassemblent seulement 7 795 mots. Si l'on exclut la partie « Actualités » qui est consacré à des informations parallèles au contenu même du magazine, nous tombons à 4 109 mots, soit un quart de la masse des mots que contenaient les trois premiers numéros réunis.  Tropes confirme qu'un choix délibéré en faveur de l'économie du discours adulte oriente les décisions éditoriales de la revue.

L'univers de référence de ce corpus de textes est basé sur la musique (55 fois), l'art (54 fois), l'enfant (51 fois), l'enseignement (31 fois).

            Le style est majoritairement argumentatif. Une prise en charge par le narrateur est notée, à l'aide du « je ».Les verbes sont majoritairement factifs (50%). « être » est utilisé 155 fois, « avoir »( 46 fois) ; « faire » (37 fois), « pouvoir » (27 fois) ; « dire » (17 fois) ; «  voir » (17 fois) ; « savoir » (14 fois).  « Enfantin » arrive en première position  comme adjectif (13 utilisations).



3.4.3.      Analyse  des textes des numéros 96, 97 et 98 :

            Nous triplons le corpus de mots employés par rapport à l'échantillon précédent, avec un score de 17 934 mots. La partie actualités en compte à peu près autant : 3 454 mots. Nous atteignons une quantité d'écrit équivalente aux trois quarts de celle des premiers exemplaires. Il semblerait que la revue soit sortie de sa période de « rétention verbale ». Les adultes auraient donc moins de scrupule, à l'orée des années 80, à mêler leur voix à l'expression enfantine.  Il est possible que se soient estompés les principes antérieurs sacralisant la spontanéité, la créativité enfantine et dénigrant le docte adulte...Le style est lu comme argumentatif et la prise en charge par le narrateur est maintenu, sans pour autant être soutenu par l'usage du « je »; L'univers de fréquence place « l'art » en tête (75 fois), suivi de « l'éducation » (64 fois), puis de « l'âge des enfants » (49 fois). Viennent ensuite « l'écrit » (41 fois) comprenant la « littérature » (18 fois) et les « textes » (libres) (18 fois). La « communication » fait son apparition (31 fois), annonçant une ère où elle occupera le devant de la scène des activités humaines. Le « corps » traité esthétiquement revient 26 fois et la « construction » (comme matériau de modelage) 25 fois. Enfin nous rencontrons la cognition à 21 reprises. Autre signe annonciateur de temps nouveaux : les mots « classe », « travail » et « technique » apparaissent 18 fois chacun, comme si le discours venait compenser par ces notions liées concrètement à l'activité humaine, une tendance générale versée à l'illusion de l'avènement d'une société de loisirs. En tout cas, le discours n'est plus  à la révélation de l'existence de l'art enfantin, on n'en est plus à convaincre de la nécessité de sa pratique, mais les temps sont plutôt à l'apport de démonstrations techniques par l'image et le texte. Les verbes les plus fréquemment rencontrés sont :  « être » (112 fois), « avoir »( 55 fois) ; « faire » (30 fois), « pouvoir » (21 fois), « voir » (11 fois). « Falloir » fait son apparition parmi les verbes les plus usités (16 fois) et « travailler » est écrit 9 fois. Les adjectifs les plus employés sont enfantin (23 fois), libre (10 fois) et artistique (10 fois).

                        

3.4.4.      Etude détaillée du premier numéro :

L'étude détaillée du premier numéro nous paraît incontournable car nous le considérons comme un exemplaire décisif puisqu’il détermine une orientation générale qui sera suivie par la  revue durant les vingt années de son existence, avant qu’elle ne change de forme, et d’orientations en 1981.

Nous relevons dans ce numéro 1, l’éditorial, non signé. Cette pratique sera courante. On la retrouve dans nombre d’organisations de l’époque où la parole individuelle s’efface derrière un nous collectif et anonyme facilitant la formulation d’une ligne, d’une politique d’ensemble dictée par les dirigeants de l’organisation. Dans cet éditorial, il  est question de « la longue carrière pédagogique centrée par l’expression libre mise en honneur par Freinet. » On y pratique le culte du leader. On rappelle l’expérience déjà longue dans le mouvement Freinet de l’expression libre (1920 – 1959, soit  40 ans !). On dit « la qualité prodigieuse des œuvres venues de nos milliers d’écoles modernes », comme si l’on cherchait à impressionner en avançant un grand nombre de militants alors que le mouvement implique justement une mouvance qui rend difficile le comptage des membres. Le culte à l’enfance est de mise : « Ce chant radieux de l’enfance qui, de toutes parts, s’élève en amplitude... » Tout comme celui de la liberté : « Cette intrépide liberté qui est notre pierre d’angle. » On y retrouve la poésie de Prévert, la naïveté militante qui croit à l’inexorable accroissement de ses troupes jusqu’à l’inversion du rapport de force en sa faveur, permettant naturellement, par la loi du nombre, d’en finir avec l’oppression : «  Pour que se noue, autour de la terre, la ronde de la joie de vivre, venue en spontanéité de la multitude enfantine. » La technologie a déjà semé la terreur, à Hiroshima notamment, nous sommes en pleine guerre froide et course aux armements, l’éditorial émet des  craintes face à l’aspect négatif du progrès. : « A l’heure où le génie de l’homme fait naître tant d’inquiétude ». Mais la croyance en la puissance du prosélytisme est forte, usant de métaphores bucoliques chères à Freinet: « On ne saurait emprisonner la vie dont l’essence est de couler comme coule la source qui n’a jamais tari ». Nous restons dans le registre politique, l’argent est diabolisé; lui est opposée la capacité des éducateurs à « préserver la richesse de spontanéité des enfants, garante d’audace et de confiance en l’avenir et justifie la vocation des éducateurs. »  Etrangement, le terme de « vocation » est repris ici, alors qu’il permet, ailleurs, de justifier des abus sociaux à l’encontre de ceux qu’il qualifie…

Le premier article est intitulé : Simplicité de la vocation artistique. Il est composé de 3 pages dont deux illustrations occupant une colonne et demie. Le texte occupe deux colonnes et demie. La  troisième illustration, signée Carmen, de teinte sanguine pastel, sert de toile de fond à la fin de l’article. Ce fondu liant article de fond et dessin de l’enfant est signifiant. Il peut être lu comme une volonté de réduire la distance, mieux, d’établir une continuité entre le texte de l’adulte qui fait corps avec la création de l’enfant. Ils sont solidaires. C’est une ambiguïté répétée dans la revue résultant d’une volonté d’associer les démarches de l’élève à celles du maître, considérés chacun à leur niveau comme des apprenants.

            L’article Sur le Causse a pour thème l’universalité de l’art enfantin. Cet article, écrit avec lyrisme, valorise l’art enfantin des campagnes austères.

            L’article La lumière de tous les jours (Jacqueline Bertrand-Pabon), écrit aussi avec emphase décrit l’art enfantin comme une activité scolaire incontournable.

            L’article Entrez dans la ronde est écrit à la façon d’un texte libre, sur le thème « vous aimez dessiner ». Signé Ecole Freinet, il est difficile de l’identifier comme production d’enfant. On y adopte, pourtant, le point de vue d’enfants défendant le dessin. Nous retrouverons à plusieurs reprises cet effet de style jouant sur l’ambiguïté du point de vue de l’auteur. Parfois, l’identification de l’auteur (adulte # enfant) est brouillée par le passage du point de vue de l’adulte à l’expression enfantin, sans marqueur clair, au cours d’un même texte. 

            La rubrique Bricolage et travaux d’art (p 20), écrite par Paulette Quarante, a pour thème l’aptitudes de l’enfant créateur... « Avec une désinvolture déconcertante... comme Picasso. »

3.4.5. Le cheminent d’un enfant, Alain-Gérard :

            Le numéro 50 du trimestre décembre 1968, janvier et février 1969 est un numéro spécial. Il est exclusivement consacré à un enfant et à son œuvre. Il est entièrement rédigé par Elise Freinet et illustré d’œuvres d’Alain-Gérard. Fait prémonitoire, Alain-Gérard pose devant l’une de ses productions dès le numéro 1 (p 5).

            L’œuvre de cet enfant est particulièrement riche et variée : plume et encre de chine, feutre, carte à gratter, argile gravée, modelée, peinture...La palette des sujets est vaste (portraits, natures mortes, scènes animalières, créatures fantastiques, etc.). Mais son style est identifiable par sa féerie, sa poésie et, sûrement, une familiarité dans le trait que l’on reconnaît dans les formes des visages, la sveltesse et l’élancement des animaux qu’il représente.

            Elise Freinet nous compte son aventure. Alain Gérard a fréquenté l’école de Vence de 7 à 15 ans. Il fut déposé  à l’école « comme un colis encombrant » par ses parents adoptifs, « gens de foire ». « Le petit avait vécu jusqu’ici dans la roulotte de forains en compagnie d’une jeune guenon et de deux chiens savants. » Alain-Gérard semble avoir mené, auparavant, cette vie errante de petit saltimbanque. En comparaison, L’enfant se sent à l’étroit dans l’univers étriqué de l’école. Il se rebelle, il agresse et « se prodigue des actes marqués de la plus grande incohérence». Pourtant une relation affectueuses se créée avec une éducatrice et Alain-Gérard commence à raconter, en des termes incompréhensibles son aventure. Mais bientôt, il découvre le dessin. Renaissent sous sa main, animaux savants et clowns qui lui étaient familiers. « Alain est habité par une sorte de présence psychique de la foire. Ses dessins en témoignent : la ligne se fait plus libre, débordante, sûre d’elle et embellie d’inventions graphiques qui sont les premiers tâtonnements d’une facture plastique qui s’affirme comme un style. » Elise  utilise, alors, le concept de « règle de vie » développé par Célestin Freinet, pour dire comment l’enfant  s’est approprié le dessin comme moyen de communication  pour appréhender son environnement. Cependant, elle précise que l’enfant n’est parvenu avec le dessin qu’à un équilibre momentané, elle dit sa compulsion à la kleptomanie, les portes de l’école franchies. Ce qui le conduira, adolescent, à la délinquance. Il retrouve ses parents aux « quatre coins » de l’hexagone le temps des vacances scolaires. C’est selon Elise, l’occasion d’accroître toujours plus son univers imaginaire. Bien qu’il ne sache lire couramment à neuf ans, en revanche, « le sens de la forme associé à un besoin de richesse décorative parfois poussé jusqu’au raffinement » domine son expression plastique. Alain  agit en autodidacte. A quatorze ans, il parviendra à un niveau similaire à celui de sa classe d’âge,  sans jamais avoir suivi les habituelles voies d’apprentissage.  « Il est déjà dans la culture, dans « sa » culture, domaine secret où la réalité et l’irréalité alternent et se parachèvent dans des incidents qui prennent pour lui l’ampleur d’évènement. La diversité de ses recherches graphiques et picturales témoigne de la liberté et de la maturité avec lesquelles  il embrasse de vastes champs de notre culture esthétique alors qu’il n’en a reçu aucune formation élémentaire. Cependant la kleptomanie l’habite toujours, et il semble qu’aucun remord ne l’étreigne malgré les réprobations de la communauté des pairs et des adultes. »

            Elise décrit son apprentissage de la peinture auprès d’enfants plus jeunes, son plaisir à s’installer à proximité d’adultes pour dessiner. Puis, un jour, ses parents se sédentarisent, Alain les rejoint, mais ne parvient pas à poursuivre son activité picturale.  Faut-il y voir un lien ? En tout cas, la maman écrira bientôt à Elise pour dire qu’Alain, âgé de quinze ans, après un nouveau larcin,  est retiré à ses parents. Et Elise de conclure : « Nous avons conté, pas à pas, la simple et étonnante histoire d’un enfant qui, sorti de l’incohérence, devint, par les seuls pouvoirs de ses aptitudes artistiques, un être attachant de sensibilité et qui gagna dans une ambiance fraternelle et soucieuse de culture, une incontestable autorité. (...) Privé  d’une expression qui fut son thème fondamental, l’adolescent habité de féerie était fatalement voué à la misère intellectuelle et morale. »

            Elise Freinet tente, dans cette analyse a posteriori, de porter un regard  sur l’enfant et son œuvre suffisamment distant pour comprendre et évaluer comment l’individu s’approprie les outils à sa portée pour appréhender, intervenir et agir sur son environnement. Elle ne se limite pas à porter sur lui un regard analytique qui l’enfermerait dans une catégorisation psychologique. Elle ne projette pas, non plus une vision exclusivement artistique, à l’affût du génie exceptionnel qui l’habiterait. Elle perçoit et expose sa théorie sur l’individu en formation et son aptitude à prendre possession naturellement des compétences expressives que lui offre le dessin. Un même esprit guide l’ensemble des études  a posteriori conduites par les enseignants Freinet  s’agissant d’oral, de chant, de poésie, d’expression graphique, littéraire ou corporelle...

3.4.6.      Etude du Numéro 59, novembre, décembre 1971 :

            Ce numéro a été sélectionné au hasard, dans la deuxième période de la vie de la revue : après dix ans d’existence, après la mort de Freinet, après mai 68, après le « retrait forcé » d’Elise Freinet. Une étude détaillée de ce numéro nous apprend qu’il est essentiellement consacré à la technique de la tapisserie. Aussi, une tapisserie réalisée dans une classe du Tarn décore en pleine page et en quadrichromie la   couverture.

           Le premier article, de Jean-Pierre Lignon est consacré à la pratique de la création musicale dans les classes Freinet. Il plaide pour un retour aux sources afin d'éviter d'enfermer les enfants dans des préjugés musicaux qui tarissent ses velléités créatrices.

            Le second article, toujours signé Jean-Pierre Lignon, intitulé « Plaidoyer en faveur du Journal scolaire rendu aux enfants », confirme l'évolution idéologique révélée par l'économie de textes d'adultes, d'une façon générale dans la revue, et plus particulièrement au cours de la période suivant mai 1968. Pourtant, peu de lignes suffisent à dire le risque de dévier l'expression enfantine en la corrigeant avant son impression par les enfants eux-mêmes. Bref,  la nécessité de « chasser la scolastique, même celle du journal scolaire! »

            Les pages 8 à 25 sont consacrées à la tapisserie et produites dans les classes Freinet du Tarn. Soit 16 pages sur une technique, sans qu'aucun texte d'adulte ne l'explique, ne la commente. Neuf textes libres accompagnent les reproductions de tapisseries. En page 10 et 11, sur quasiment  une page entière, sont retranscrits des commentaires et des appréciations d'enfants au sujet de cette technique. Le message sous-jacent est de rester au plus près de l'enfance, d’éviter tout verbiage risquant de noyer l’expression enfantine sous une masse de concepts, de principes, de théories et de  préjugés d'adultes. 

            Les illustrations sont sources d'informations pour le pédagogue ou élève : il peut observer les techniques de couture utilisées, les résultats obtenus par les différentes classes d'âge puisque  le reportage montre des réalisations de trois écoles maternelles, d'une classe de perfectionnement et de deux classes primaires.

            Les commentaires des enfants (p 10 et 11) au sujet de la tapisserie exposée en couverture, sont aussi source d'informations, concernant le ressenti par les enfants face à une telle activité, sa réalisation et son résultat. Les vécus, sensations et opinions divergent, justifiant l’autorisation pour les enfants de choisir leurs activités en fonction de leurs besoins.

            Les illustrations montrent l’utilisation de cette technique dans diverses situations. L'une d'elle (p 18 et 19) représente la frise historique d'un village. Certaines tapisseries sont abstraites. Le niveau de finition est très variable, adapté à l'âge des enfants. La mise en relation avec des textes libres laisse entrevoir que, par alternance, la tapisserie peut autant illustrer le texte libre, que ce dernier, naître, individuellement ou collectivement à partir de la représentation.

            S'ensuit la « Ballade de celle qui partit à la guerre et s'en revient blessée de flèches ». Six pages de dessins à l'encre de chine illustrant un récit « noir » et poétique sur le thème de la mort.   A noter le traitement d'un sujet grave par un enfant, confirmant l’audace de ces enseignants qui permettent, lorsqu’elle se justifie, l’expression de sujets tabous, les mettent en valeur et les diffusent, sans toutefois en faire un principe. La culture occidentale a plutôt eu tendance à éliminer les sujets trop sérieux de l'univers enfantin. Aucun commentaire adulte ne vient décrire les conditions de réalisation de la production. On ne peut ni parler d'oeuvre au sens artistique, ni d'activité au sens scolaire traditionnel de « séquence ». Il s'agit d'un travail relevant d'un certain artisanat. L’enfant-artiste est un être dont la formation est étroitement liée à sa capacité à intervenir sur son environnement matériel, abstrait ou virtuel. Le lecteur-pédagogue réfléchit aux conditions dans lesquelles ont pu émerger les objets qui lui sont présentés. Il en imagine le  cheminement, le met en relation avec la réalité de sa propre classe. Il se projette dans la réalisation d'une telle activité. C'est bien l'objectif de la revue.

            La page « Actualités » rend compte de l'organisation interne, de  parutions concernant l'art enfantin dans d'autres publications Freinet (BT, BT2), de revues d'art, de disques pour enfants. On y trouve aussi des appels à contribution pour de futurs numéros.

            Le sommaire nous indique l'origine de l'iconographie et indique le nom des auteurs, ce n’est pas systématique.

3.4.7.      La revue perçue par ses concepteurs  et utilisateurs adultes :

           Dans le  numéros 73 de septembre, octobre 1974 et le numéro 100 de février, mars, avril 1981, à l’occasion des quinzième et vingtième anniversaires de son existence, les concepteurs et premiers « consommateurs » de la revue lui portent un regard critique. La même stratégie préside au style de commémoration rétrospective : des articles et extraits d’articles choisis parmi les numéros anciens sont republiés, des militants font part de leurs impressions, tirent un bilan, projettent des perspectives.

Numéro 73 (1966), 15ème anniversaire :

           Pour ce numéro 73 de mars, avril 1966 qui commémore les quinze ans d’existence de la revue, une participation a sûrement été demandée aux collaborateurs et groupes départementaux. Des articles des fondateurs sont repris. Extrait de l’éditorial d’Elise ou de l’article de Madeleine Porquet du numéro 1 (1959) ; Extrait d’article sur l’art enfantin de Célestin Freinet (n°9, décembre 1961), de Paul Le Bohec, (n°29, 30, de mai 1965). L’éditorial de ME Bertrand met l’accent sur  la coopération de générations d’éducateurs Freinet que révèle la revus. Les pages Actualités, comme nous le verrons par la suite, sont occupées par un article de Paulette Quarante, pionnière de la revue, et un article de René Lafitte, alors, jeune enseignant Freinet. L’éditorial dit la vivacité de la revue, la vive animation de l’art enfantin au mouvement Freinet, pour preuve les illustrations de ce numéro spécial tirées d’une exposition qui accompagnait un stage d’initiation.

            Les extraits choisis d’anciens articles rappellent les fondamentaux de l’art Enfantin pour les éducateurs Freinet. En page 2, est repris, un article du numéro 34, de  J.D. Fait exceptionnel parmi les rédacteurs de cette revue, J.D est étranger à l’univers éducatif. Mettant en avant ce statut particulier, il en profite pour rappeler que le dessin appartient d’abord à l’enfant avant d’être un objet pédagogique. Son regard extérieur lui permet de noter « une grande similitude de pensée et d’expression » des adultes dans la revue. Il en déduit que « les mêmes pratiques appellent les mêmes déductions et les mêmes comportements ». Plus loin, il salue l’art enfantin tel qu’il s’épanouit dans les classes Freinet « comme seule voie salutaire ». L’article se termine par un vif encouragement à poursuivre la publication. Plus loin, Célestin Freinet dit l’importance de la stimulation de l’enfant en reprenant la métaphore classique de l’éducation naturelle donnée par la maman, stimulation du milieu. Elise Freinet est convoquée dans une envolée lyrique glorifiant la naissance de la revue. Madeleine Porquet  défend de la  scolastique un véritable apprentissage du dessin. Paul Le Bohec  revendique l’accessibilité de l’art pour tous.  La page 5 donne un extrait d’un article paru dans le numéro 52 de juin, juillet et août 1970, consacré à l’art des adolescents. L’article, non signé, confirme que  cet art, comme l’art enfantin, est basé sur l’expression de soi, l’invention personnelle et l’échange avec autrui. Il se termine par une citation de Chagall : « Il ne faut pas craindre d’être soi-même, de n’exprimer que soi car c’est en descendant dans les profondeurs de soi-même que l’homme parcourt toutes les dimensions du monde ».

            Nombre de ces articles sont rapportés sans signature. Cet anonymat, déjà relevé dès les premiers numéros, donne le sentiment  d’un discours « à l’unisson » de l’équipe de rédaction et au delà, de la nébuleuse Freinet. On a affaire à un groupe qui fait « corps », une similitude de pensée, au-delà du temps et de l’espace. Une forme de militantisme au service de l’émancipation par la culture explicitement exprimé dans cet article extrait du numéro 54 de novembre, décembre 1970 (p 1) où il est question de la démocratisation  de l’accès à la culture dans la perspective de former des adultes plus ouverts, grâce à leur liberté d’expression, à leur capacité de transformer et de communiquer. Le même esprit habite l’extrait de cet article tiré du numéro 57 de mai, juin 1971 (p 2) qui dit la nécessité de démocratiser le bonheur de peindre. L’influence de mai 68 est bien présente et au-delà, l’utopie socialiste d’une société sans classe où la créativité serait à la portée de chacun…

            En page 4, répondant sans doute à un appel de la revue, le groupe de Toulouse intervient. Son bilan commence par un satisfecit : la revue est considérée «comme  un moment de joie, de rêve, de confiance en l’enfant et en soi-même ». Sa finalité est de donner aux enfants l’envie de peindre, de déculpabiliser le maître. Proposition est faite de montrer les diverses étapes de progression, d’une classe en évolution plutôt que de toujours présenter des réussites frustrantes pour les néophytes. La présentation de techniques est vivement appréciée. Est exprimé le désir de voir publier de nouvelles genèses axées  sur l’aspect thérapeutique du dessin libre.

              Suit un article de la délégué de l’Isère qui insiste pour donner davantage la revue aux enfants et aux adolescents, réclamant une réduction des interventions d’adultes. Elle dit l’intérêt porté à la proposition de techniques.

En page 6, le groupe de la Manche réclame davantage de technique, de réalisations enfantines, de genèses et moins de « baratin » et de « sensiblerie ». On perçoit sous cette critique l’opposition des acteurs de mai 68 à l’époque révolue des pionniers et de leurs envolées lyriques romantiques comme en étaient capables les pionniers. Porté par la mode ou le courant  autogestionnaire, une rubrique « de gosses à gosses » est suggérée. Même si l’article se termine par cette phrase : « C’est un journal adulte, il doit le rester tout en parlant aux enfants».

            Monique Bolmont  estime que cette revue prestigieuse est avant tout destinée aux adultes. Elle aimerait pouvoir disposer d’une revue plus proche des enfants. Elle propose de l’intégrer à des revues déjà à la portée des enfants comme BT.

            Janou Lémery considère Art Enfantin comme la revue la plus révolutionnaire du mouvement car elle donne à voir des œuvres faites de tendresse et d’innocence, anticonformistes et vierges de conditionnement.

            En page 7, Paul Le Bohec, représentant le groupe du Finistère, rapporte que le premier intérêt de la revue est d’inciter le maître à oser prendre sa part. Il invite les lecteurs à enrichir la réflexion commune sur le concept de « beau » selon les différentes approches, celles des enfants, des maîtres ou des parents. Il propose aussi que chaque éducateur dise comment il s’y prend : ce qu’il ne fait jamais, ce qu’il fait souvent, ce qu’il faisait au début et qu’il a abandonné soit parce qu’il se l’interdit, soit parce qu’il a trouvé de meilleures solutions. Partant du constat que les enfants aiment bien se trouver dans ce qu’on leur présente, il propose que la revue donne des témoignages, des cheminements, des prolongements qui joueraient ce rôle d’exemples, dans la formation de la personnalité des enfants. Ainsi suggère-t-il des numéros à dominante : pâte à modeler, sculpture, etc…

            A la page 31, dans la rubrique actualités se côtoient les articles de Paulette Quarante, « une ancienne » et de René Lafitte, jeune enseignant. Paulette Quarante note une évolution au cours des quinze ans passés. Les conditions d’enseignement (matériel, effectif) se sont nettement améliorées durant de cette période. L’accès à l’art (musée, spectacles, etc.) est facilité. Les enfants ont vécu une émancipation esthétique. Ils expriment leurs émotions avec plus d’aisance que les générations précédentes, l’écueil étant de tomber dans le facile, la gratuité. Ces remarques de madame Quarante sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont justifiées par l’émancipation artistique de la période post-surréaliste, d’une part, et par l’émancipation sociétale engendrée par mai 68. Cette rédactrice de la première heure se souvient de l’enthousiasme des débuts lié à la découverte d’un art accessible à tous et au désir de montrer la « puissance de beauté » issue de l’enfance libérée à travers la pédagogie Freinet. Elle regrette un déficit de coopération dans les équipes éducatives. Cependant, Paulette Quarante note que « les cheminements de la création sont inchangés. » Ils dépendent toujours de la perméabilité du maître à l’univers des enfants, de son tâtonnement et de l’accueil qu’il réserve aux premières créations, de la théorisation de sa pratique dont dépendent ses projets, de sa façon de gérer cette activité par rapport aux autres (montrer, garder pour soi…). En conclusion, elle formule le projet de travailler à former les parents au respect des créations de leurs enfants.

            René Lafitte se livre a un exercice littéraire au sujet de l’art enfantin, son existence, son évolution, le rôle de la revue, proposant, lui aussi, en autogestionnaire, de favoriser l’expression directe des enfants et des adolescents.

            

Art Enfantin  numéro 100, 20ème anniversaire :

            La démarche est identique à celle adoptée pour le quinzième anniversaire. A la différence près que ce numéro de 49 pages (le N°73 en comptait 17 de moins) présente les articles dans leur intégralité et signés. Une page se tourne. On garde des traces, des repères plus tangibles. C'est un numéro particulièrement bavard où la rétrospective est organisée chronologiquement. Les articles comme les illustrations proviennent de la déjà longue histoire de la revue. Chaque page semble retracer un moment, une période de la revue.  Sont donc repris dans leur intégralité, l’éditorial du numéro 1. L’article de Jacques Caux de 1970 justifiant la modification du titre car s’ajoutait Créations à Art Enfantin. Est aussi repris un article écrit par Célestin Freinet en 1961, intitulé Méthode naturelle de dessin. Une fois de plus, Freinet dit comment les techniques de l’école moderne ont permis de reconsidérer les processus de création, de croissance et de culture qui « de scolastique sont devenus naturels et humains ». Les « longs exercices fastidieux » traditionnels négligent l’essentiel : « le sens intime que l’enfant a en lui de la présence réelle des choses, de leur intégration à son intimité, à sa joie de vivre. Ce sont tous ces impondérables qui signent l’œuvre d’art dans une authenticité émouvante.../... Les enfants, à l'école apprennent à dessiner mais ils ne savent plus ni créer, ni animer (donner une âme) à leurs dessins. Séparer l'apprentissage de la vie est une monstrueuse erreur ». Et Freinet de rappeler que toute acquisition est le fruit exclusif d'un tâtonnement expérimental, même lorsque l'individu s'approprie par imitation, par observation, par lecture, l'expérience des autres, « cette appropriation se fait alors sur la base et en fonction de l'expérience personnelle qui continue à orienter le tâtonnement. Le tâtonnement expérimental en est diversifié et accéléré ». En matière d'apprentissage, les règles et les lois sont un aboutissement et non un point de départ, « le processus inverse risque de troubler le tâtonnement et de fausser d'une façon irrémédiable tout le mécanisme d'acquisition ». En dessin, Freinet rappelle l'évidence et la simplicité de la méthode naturelle :

1) Laisser l'enfant dessiner librement.

2) L'enfant s'inspire de ses camarades, il s'approprie l'expression des autres.

3) Il n'y a pas de leçon mais imprégnation décisive.

            En page 10, dans un article de 1962, Elise Freinet déclare : « notre grand mérite aura été de nous apercevoir que la vie de nos petits avait des caractéristiques bien à elle, centrées sur une sensibilité poétique et esthétique qui méritait audience et épanouissement.../... Nous nous sommes rendus compte que cet état d'enfance avait valeur de culture. Cette culture est plus qu'une modulation sur des mythes et des thèmes qui apparaissent comme l'essentiel d'une culture(...) elle est plus encore caractéristique de données personnelles de talent et c'est cela qui nous retient, comment déceler le talent ? Nos recherches sont moins sélectives que l'exigerait une culture qui d'avance, a ses prototypes et ses démarches. Nous restons au niveau de la vie et tout évènement nous enseigne sans avoir jamais, au départ, de hiérarchie, de valeur préétablie. Sur le plan de la vérité, la gangue vaut la pépite, mais bien sûr, à tous les âges de la vie, l'acte d'exister se double de richesses dont il serait impossible de ne pas tenir compte : invincible poésie du monde, aspiration au bonheur, besoin de tendresse, rédemption de l'espérance, perpétuelle transgression vers la féerie du monde. »

            La page12 reproduit un article de 1961 écrit par Madeleine Porquet, Inspectrice des écoles maternelles et rédactrice de la revue depuis sa première parution. Elle souhaite la réhabilitation du concept de "spontanéité" banni par le cartésianisme et le rationalisme triomphant car considéré comme source d'erreur. Elle dit l'importance, en maternelle, d'aider l'enfant à vivre en profondeur ses émotions afin de l'amener à prendre possession et à découvrir « cet accord secret du coeur humain avec les harmonies cosmiques » qui selon Elie Faure est à la base de tout art.

            Vient, ensuite un article datant de 1964, écrit par M.L. et P. Cabanes, rappelant l'évolution rapide des conditions d'existence, des préoccupations et des façons d'être des enfants. Ils disent avoir connu des enfants qui devaient travailler à la maison à garder cochons et oies. Ces enfants étaient rêveurs, poètes, comme pour s'évader par l'esprit de leurs rudes conditions. Ils parcouraient de longues distances à travers champs pour rejoindre l'école. Leurs créations esthétiques étaient marquées par cette vie en communion avec la nature. Les auteurs sont nostalgiques de cette époque révolue où les enfants avaient de plus beaux paysages à contempler, plus de temps pour rêver au long des chemins. Au moment de la rédaction de l’article (1964), ils ont le sentiment d'avoir à faire à des enfants absorbés par leur vie matérialiste, « manger, jouer, dormir, sans avoir d'autres soucis que ceux-là ». S'ils sont encore amenés quelquefois à travailler, c'est pour conduire une machine, un tracteur. Ils viennent en auto à l'école. Pourtant, comme leurs aînés, ils éprouvent un « inconscient désir de la terre nourricière et belle », ils dessinent et peignent la nature. Les auteurs, travaillant auprès d’adolescents, notent, que « la montée vers la sûreté de l'expression » passe par trois étapes :

1) Une période pauvre où le dessin n'est soucieux que de reproduction fidèle.

2) Suit l’enrichissement de chaque dessin par un détail exprimant un « mieux traduit, mieux aimé, mieux senti ».

3) Vient enfin l'éclosion « comme pour les textes libres, par tâtonnement heureux, l'expression trouve sa formule personnelle ».

            "Je choisis Van Gogh" est un court article signé Jacqueline Bertrand, datant de1965, où elle tente de revendiquer  « à toutes les formes de la connaissances », sa préférence pour Van Gogh « le fou (...), qui n'était rien, qui ne voulait rien : ni gagner, ni profiter, ni connaître, ni se rassurer, et qui a réussi à tout donner ».

            Dans Valeur plastique des peintures d'enfants (1967), Elise Freinet conteste le fait que seul le psychologue soit habilité à parler des dessins d'enfants. « Il faut regretter cette manie d'instruire à tout prix selon des schémas et des canons d'adultes au lieu d'essayer de retrouver le chemin des bienheureuses délivrances de l'univers de l'enfant et de l'artiste. (...) Existent d'autres valeurs inhérentes à l'expression spontanée incluses dans des élans qui échappent à l'analyse froide, à la prison des vocables et qui sont plénitudes de l'enfance ».

Oui, des portes peuvent s'ouvrir de Paul Le Bohec (1965) avait déjà partiellement été repris dans le numéro 73. Il y conte sa découverte de l'art comme une révélation.

            En 1968, Paulette Quarante avait écrit un article intitulé "L'éducation artistique" où elle dit comment la pratique artistique dans les classes Freinet répond à un besoin fondamental de l'Etre humain. « La beauté me paraît part intégrante de la vérité car il ne saurait être d'accomplissement humain qu'harmonieux. (...) on ne pourra jamais supprimer cette aspiration au fond de l'être humain, car elle lui apporte, s'il lui est perméable, les instants les plus purs et les plus profonds d'apaisement et de plénitude. »

Dans l'article Vers le geste fondamental (1972),  ME Bertrand (MEB) et Jean-Pierre Lignon s'interrogent sur  le processus de déblocage de l'expression des enfants en classe Freinet, après une scolarité traditionnelle.  « L'école a courbé les dos pour faire franchir la porte étroite des connaissances »; Le maître doit introduire des techniques de déblocage afin de retrouver « les réactions vitales qui sont la dignité de l'être », comme dit Célestin Freinet.

Dans Sens des lointains adolescents, C. Combet, en 1960, tente de cerner la spécificité de l'adolescence.

            Comme dans le numéro 73 (p 2) est repris un article  de Janou Lèmery, daté de 1970. Cette fois-ci, l'article est signé et publié dans son intégralité. Il introduisait un numéro d'Art Enfantin, spécialement consacré aux adolescents. Dans cet article intitulé Vivre, elle parle de la difficulté pour un adolescent de renouer avec la création artistique, le langage plastique, dont il a souvent été coupé depuis la petite enfance. Elle considère que les collèges n'offrent  pas de véritables conditions d'épanouissement de la personne en raison des effectifs, des programmes et des horaires surchargés et émiettés. En art plastique, cela se révèle par des créations immatures, maladroites, empreintes d'imitations... Déjà « leur goût de la création personnelle, la sensibilité, l'imagination » se sont atrophiés.

            Dans un article intitulé Le parti pris des maîtres, en 1975, Jeannette Le Bohec rapporte sa tentative de laisser faire, une expérience qu'elle se promet de ne jamais renouveler. S’imposant pour défi l’hypothèse suivante : « Et si vraiment nous avions eu une trop lourde part du maître? » Pour en observer  l'impact, elle a fait l'expérience, durant une année scolaire, de l'effacement autant que possible de sa personne, en art plastique avec ses élèves de CP, « Alors, pendant un an les enfants ont tourné en rond : maisons, maisons, maisons, copies, copies, copies, décalquages, stéréotypes, ennui général, stagnation, désintérêt. » L'année suivante, ayant les mêmes élèves, au hasard d'une commande d'exposition à thème à la maison de la culture, la maîtresse « rectifie le tir », distribue un matériau nouveau et sans en connaître la raison exacte, elle constate  « une série insolite qui rompait vraiment avec le passé ». Elle dit avoir pris, alors, « un parti énergique et chirurgical », annonçant son refus de voir les éternels « chats moustachus, les tulipes et les châteaux crénelés archi-vus depuis des mois » et interdisant le décalquage. Ayant eu la preuve que lorsque le maître ne joue pas son rôle, les enfants sont abandonnés à leurs conditionnements, elle cite Paul Klee : « Les enfants ne sont pas moins doués et il y a une sagesses à la source de leurs dons. Moins ils ont de savoir-faire et plus instructifs sont les exemples qu'ils nous offrent...et il convient de les préserver très tôt de la corruption » S'en est suivie une longue période  d'émulation, de trouvailles techniques et d'épanouissement artistique. Jeannette Le Bohec en conclut  la nécessité pour le maître d'être authentique. Elle considère indispensable, en art de faire oeuvre psychologique en essayant de libérer l'enfant et de lui faire se découvrir une esthétique personnelle. Jeannette Le Bohec conseille aux enseignants de s'impliquer en art enfantin, « car de toute façon leur personnalité passera d'une manière ou d'une autre dans la classe ». Elle leur conseille d'être en accord avec eux-mêmes.

            En page 45, Anto Alquier s'interroge en 1979, sur les risques d'une dérive consumériste des ateliers proposés par le mouvement Freinet et où la transmission de techniques aurait tendance à prendre le pas sur l'éthique pédagogique. La rédactrice considère nécessaire aussi de rester attaché à des techniques créatrices et peu onéreuses. 

            Le dernier article commémoratif date de 1981. Il est signé Jacqueline Bertrand. Elle rappelle l'époque héroïque où fut pris le risque de publier une revue consacrée à l'art enfantin et où l'"Indispensable" d'Elise l'a emporté sur le "trop cher" de Freinet.  « Tranquillement, "coléreusement"  aussi mais patiemment, inexorablement, le dessin d'enfant si décrié, si contesté, a envahi les murs des écoles, les pages des journaux, les rues et même les panneaux publicitaires. » Puis vient le mot de la fin : « Ne rompons pas la chaîne. Elise a fait naître Art Enfantin. Elle l'a porté, l'a nourri longtemps. MEB y a consacré beaucoup de luttes, d'efforts, de découragements cachés souvent sous le masque de la bravade mais toujours déterminants pour la marche en avant.

            Des centaines de maîtres anonymes y ont apporté leurs pierres, des milliers de mains d'enfants y ont laissé leurs empreintes.

            Alors, bonne suite au numéro 100 ! »

            La revue se termine par l'annonce de la sortie d'un disque ICEM intitulé Musiques d'ailleurs, consacré aux musiques du Maghreb dont sont originaires nombre de petits immigrés.

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